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Ces réflexions de Michel CALPENA ouvrent le débat sur les RRE. Envoyez-nous vos réactions.
Le
RRE
(texte
critique pour faire avancer le débat sur l’école rurale)
L’objectif
avoué des RRE est de garantir l’ «accessibilité et la qualité des
services publics dans les zones rurales et urbaines fragiles ».
Si les zones sont fragiles on pourrait s’attendre à ce que l’état propose
des règles de compensation avec des critères particuliers sur des bases les
plus objectives possibles. Or, il n’en est rien puisque l’essentiel des
moyens doit être trouvé localement. On constate notamment que l’état des
lieux est confié aux responsables locaux de l’éducation avec leurs
principaux partenaires. Cela signifie que ce sont les enseignants et/ou les IEN
(inspecteur de l’éducation nationale) qui vont se charger avec leurs
partenaires d’établir la fragilité et les besoins. On va droit à des critères
bidons car les enseignants et les partenaires prévus (élus, parents,
association) n’ont aucune compétences pour faire un état des lieux objectif.
Par ailleurs, le document souligne la
nécessité d’adapter et de réorganiser les services publics. Or aucun
sens n’est donné à cette réorganisation. Faut-il faire des économies, améliorer
les rapports entre les acteurs, substituer à une administration centrale une
administration locale, améliorer les résultats scolaires ? Ce n’est pas
ce dernier point qui prime puisque le texte reconnaît que les résultats dans
les zones rurales sont aussi bons voire meilleurs que ceux d’autres zones.
Alors, pourquoi apporter des modifications ?
En fait, un des
buts principaux semble être de faire cogérer l’éducation
par les parents, les élus, les associations et les enseignants autour
d’un projet pédagogique puisque «en tant que dispositif le RRE est fondé
sur un projet pédagogique ».
Là est un des nœuds du problème car légalement la responsabilité pédagogique
incombe aux enseignants qui en répondent devant leur hiérarchie. Tout ce que
peut faire l’enseignant c’est de réclamer aux municipalités les moyens que
nécessite la pédagogie qu’il met en œuvre en appliquant les instructions
officielles (IO). Jusqu’ici le système fonctionne sur le principe suivant :
le législateur vote des règles générales et un budget, le gouvernement en
regard de ces lois décide des programmes et des directives que doivent
appliquer les enseignants. L’état paye les enseignants et les collectivités
locales les moyens matériels (avec possibilité de subventions de l’état
pour l’immobilier). Une zone de flou demeure en ce qui concerne les
fournitures : cahiers, livres, ordinateurs, etc.)
Avec les RRE on assiste à une rupture de ces
principes. En effet jusqu’ici l’éducation nationale procède d’un projet
national. Ce sont les élus qui discutent et décident de ce qui doit être
enseigné aux enfants après consultation, si nécessaire, d’instance interne
à l’Education nationale (conseil des programmes, DEP, etc.).
Le RRE, lui, instaure une cogestion de la pédagogie et des moyens entre des acteurs qui ne sont pas à un même niveau d’intérêt (contrairement aux élus qui sont censés représenter la nation) et sans donner à aucun d’eux de pouvoir de décision.
L’intérêt des parents est la réussite scolaire
de leur enfant, l’intérêt des associations est le recrutement pour leur
activité, l’intérêt des élus est la représentation des citoyens de leur
commune, l’intérêt des enseignants est de mettre en œuvre les programmes
qu’on leur impose pour tous les enfants et bien sûr, on l’oublie trop
souvent, de gagner leur vie dans les meilleures conditions possibles.
Est-il possible
que tous ces intérêts convergent ?
Oui, si :
Ø
les
parents ne considèrent pas que seul leur enfant compte et que sa réussite ne
dépend pas que du maître ;
Ø
les
parents ont un avantage à cette organisation (garderie, ramassage, etc.)
Ø
les
enseignants retirent un bénéfice de l’opération (salaire, horaire, amélioration
des conditions de travail, etc.)
Ø
les
parents et les enseignants ont tous une même vision de ce que doit être l’éducation
dans une collectivité (objectifs, critères de réussite, etc.) ;
Ø
les élus
sont au service de la réussite des objectifs du consensus parents/enseignants
en donnant les moyens nécessaires ;
Ø
les élus
ne sont pas désapprouvés par leurs électeurs et si leur commune en
retire un avantage (frais diminués ou contants par exemple) ;
Ø
les
associations mettent leur compétence au service d’un projet qui n’est pas
le leur ;
Ø
l’état
donne les moyens techniques et financiers pour combler les manques.
Non, si :
Ø
les
parents privilégient la réussite immédiate de leur enfant ;
Ø
les
parents n’ont aucun avantage dans cette organisation (pas de garderie,
etc.);
Ø
les
parents et les enseignants ont des vues divergentes sur l’éducation et se méfient
les uns des autres ;
Ø
les élus
voient là, uniquement, un moyen de promotion électorale ou un moindre
mal (éviter une fermeture) ;
Ø
les
associations cherchent des futurs adhérents et font passer leur intérêt
avant celui de l’école ;
Ø
l’état
ne donne pas de moyens sérieux pour la réalisation du RRE.
On voit bien les difficultés auxquelles va se
heurter ce système, d’autant qu’aucune contrainte n’est posée. « L’ensemble
des acteurs de l’école doit se mobiliser sur ce territoire, ce qui implique :
la confiance, le volontariat, et l’engagement de tous… » Cet appel
quasi militaire prend des accents d’appel au peuple face à la patrie en
danger alors que le seul risque non avoué, mais qui est indispensable pour
obtenir l’adhésion des acteurs, est la fermeture de l’école pour des
raisons de stricte économie budgétaire puisque, encore une fois, il est
reconnu que les résultats des écoles rurales sont aussi bons voire meilleurs
qu’ailleurs.
Cette volonté de mise en réseau, sous des aspects d’un modernisme convivial, cache en fait la volonté de l’état de se débarrasser du problème de l’école rurale sur le local.
En effet qui empêche l’état de mettre en réseau
les écoles : personne si ce n’est un mode d’organisation qui remonte
au début de la troisième république et qui n’a guère évolué depuis et
que seul l’état peut changer. Il
serait peut-être temps de reconsidérer les implantations des écoles de façon
différente selon les situations géographiques. En effet pourquoi ne pas réfléchir
à de nouvelles règles de répartition des moyens. Prise en compte par exemple
de l’espace et de son occupation , seuil d’ouverture et de fermeture selon
les zones en se basant sur les études de l’INSEE (type d’habitat (concentré,
dispersé), démographie locale, économie locale, relief, etc.…). Nouvelles règles
pour définir les responsabilités sur une école. Par exemple, la règle,
judicieuse il y a cent ans, qui consiste à faire payer l’entretien de l’école
à la commune sur laquelle elle se trouve est devenues absurde si cette école
est utilisée par plusieurs communes. Il
faut donc créer de nouvelles règles avec des avantages et des contraintes différentes.
Mais pour cela il faut arrêter de fermer au coup par coup et/ou
de créer des réseaux, des RPI et des ZEP à la tête du client mais
plutôt poser un vrai problème politique à savoir : quelles règles générales
se donne-t-on pour améliorer (ou conserver) un service d’éducation
efficace et respecté de tous. Car, sous l’aspect d’une règle
valable pour tous, les écoles subissent des traitements très différents selon
les communes ce qui rejaillit sur les choix des enseignants (fuite vers les
communes avec un bon public par exemple).
Il semble donc
que les RRE (et avec des modalités différentes c’est la même chose pour les
ZEP et les RPI) vont à l’opposé de cette clarification en mettant dans les
mains du local la gestion financière et pédagogique de l’école.
Ces systèmes ne peuvent fonctionner qu’avec un ensemble d’acteurs motivés
et désintéressés. Or il est peu
probable que sur une durée sérieuse on retrouve partout des gens motivés et
quasi bénévoles à tous les niveaux. Cela ne pourra que conduire à des
dysfonctionnements, des échecs et des situations conflictuelles. L’école se
trouvera au milieu d’enjeu de pouvoirs entre les élus, les parents,
l’administration et les enseignants. Ces derniers se trouveront (ce qui est déjà
souvent le cas) écartelés entre
les contradictions des directives administratives, des demandes locales
(parents, élus) et leurs propres convictions professionnelles. Cela ne semble
pas la meilleure façon d’enseigner en toute sérénité. Par ailleurs, comme
aucune règle prévoit l’engagement d’un enseignant sur trois ans, tout
changement pourra tout remettre en cause puisque le RRE est basé sur le
volontariat. A moins que l’on ne donne plus le choix à l’enseignant ou que
le RRE impose des règles de recrutement (on voit toutes les dérives
possibles).
En fait, l’état
cherche sans le dire à se débarrasser à la petite semaine d’un problème
financier : l’école rurale coûte trop cher à l’état[1].
Avec les ramassages et les RPI on évacue une partie des frais sur les
collectivités locales (communes, département) et/ou les parents. Cela coûte
aussi cher que les classes uniques mais ce n’est pas l’état qui paye les
bus et les garderies. Avec les RRE, on risque d’aboutir à terme à une
multiplication d’intervenants payées par d’autres organismes que l’état
ou moins coûteux pour lui : bénévole d’association, emploi jeune,
enseignant itinérant, etc. Ce déplacement des coûts contractualisés créera des concurrences
entre zones et accentuera le nomadisme scolaire vers les zones les plus
attractives. Or ce ne sont pas les zones fragiles économiquement qui pourront dépenser
le plus et attirer le plus !
Enfin, sur le plan strictement pédagogique quels avantages peuvent retirer les écoles des ces RRE. Le seul point prévu par le texte est celui des relations étroites entre les écoles et le collège. Or l’expérience montre qu’entre le primaire et le collège c’est plutôt un dialogue de sourd qui est le plus souvent instauré. En effet, les structures sont si différentes que les enseignants des deux milieux n’arrivent pas à se comprendre. Les uns enseignent plusieurs matières dans une grande souplesse horaire, les autres une seule dans des contraintes horaires rigides. Et sur quel temps pourraient-ils se retrouver. Pendant les horaires de travail ? Ils n’ont pas les mêmes et que fait-on des élèves ? En dehors du temps scolaire ? Qui sera volontaire pour ce bénévolat, surtout aujourd’hui où très peu d’enseignants habitent sur place. Certains enseignants, surtout en collège, faisant plusieurs dizaines de kilomètres chaque jour !
Les RRE comme les RPI, en masquant les vrais questions et en évitant de poser les problèmes de fond tiennent plus des soins palliatifs que d’une véritable médecine pour l’école rurale.